Dysphasie

Troubles morphosyntaxiques chez l’enfant sourd et chez l’enfant dysphasique : similarités et spécificités

La production morphosyntaxique est un aspect particulairement altéré dans la plupart des troubles du langage. La comparaison inter-syndrome permet une meilleure compréhension de l’implication des différents facteurs dans l’acquisition du langage et des spécificités de chaque trouble.

Dans les deux troubles (surdité et dysphasie), des troubles morphosyntaxiques sont observés ce qui rend leur comparaison particulièrement intéressante.

Les troubles spécifiques du langage (TSL) sont définis comme « des troubles graves et persistants du développement langagier en l’absence de déficience mentale, de troubles psychiatriques ou neurologiques, de déficiences sensorielles (surdité ou cécité), de troubles envahissants du développement, de carences affectives ou environnementales importantes.  » Cette définition ne doit cependant pas être prise à la lettre car une comorbidité avec un de ces troubles est possible mais le trouble langagier présenté doit alors être plus important que ceux habituellement observés chez des enfants présentant ces autres troubles.

Les personnes atteintes d’un TSL peuvent être affectées à différents niveau de traitement d’où l’hétérogénéité des profils présents. Un déficit au niveau de l’acquisition de la morphosyntaxe est retrouvé chez la plupart des TSL et plus spécifiquement au niveau de la morphologie verbale.

Leurs difficultés concernent autant la compréhension que la production de propositions complexes et l’acquisition de la morphologie.

Les recherches au niveau de la langue française indique des difficultés au niveau du marquage temporel des formes verbales composées mais produisent rarement des formes verbales non-conjuguées contrairement aux TSL anglophones. L’acquisition des pronoms clitiques objet est une difficulté majeure chez les TSL et représente d’ailleurs un des marqueurs spécifiques de TSL. Les déficits morphologiques permettraient de distinguer les enfants TSL des enfants typiques.

Au niveau de la dimension syntaxique, la littérature indique que des difficultés sont présentes pour les personnes atteintes de TSL lorsque la structure syntaxique ne respecte pa l’ordre sujet-verbe-objet.

Les phrases passives et relatives objet, les questions avec inversion sujet-verbe et les clitiques objets posent également des difficultés importantes aux personnes dysphasiques. Par conséquent un évitement des structures complexes sera présent tandis qu’une utilisation importante de phrases simples sera présente.

Leur niveau de compréhension peut être du même niveau que des enfants typiques tandis que le niveau de production sera toujours inferieur.

Deux hypothèses étiologiques du trouble morphosyntaxique sont émises :

  • Déficit purement linguistique

Cependant cette hypothèse ne permet pas d’expliquer les déficits cognitifs non-linguistiques présents chez les dysphasiques

  • Limitation des capacités de traitement

Etant donné la limitation de capacité de traitement, des phrases simples seront privilégiées pour ne pas surcharger la mémoire de travail.

Cela est en accord avec le fait que de nombreuses études démontrent un trouble important de la mémoire de travail chez les dysphasiques tout comme chez les personnes sourdes. Ce déficit de la mémoire de travail serait général et ne concernerait pas seulement la mémoire verbale de travail mais également la mémoire de travail visuelle et visuospatiale.

Chez les enfants sourds, une surdité précoce a pour conséquence que lors de la période critique de l’apprentissage du langage, l’input langagier est insuffisant et le dispositif biologique pour l’acquisition du langage ne peut être suffisamment activé. Cela a une incidence sur tous les processus langagiers et en particulier sur la perception des phonèmes. La sévérité du trouble va dépendre de différents facteurs (degré de surdité, âge du diagnostic, étiologie,….) Parmi les différents niveau de langage, la morphosyntaxe, et la phonologie sont les plus touchés. La production du déterminant clitique accusatif (le, la, les), clitique réfléchi et les flexions verbales sont particulièrement difficiles. Cela est aussi vrai pour les enfants entendants plus jeunes et les enfants TSL. Tout comme pour les enfants TSL, les phrases qui impliquent un mouvement syntaxique sont compliquées pour les personnes sourdes ou malentendantes. Ils mettent également en place des stratégies d’évitement concernant les phrases complexes. Il existe cependant une grande variabilité au niveau du développement morphosyntaxique des personnes sourdes.

Les personnes ayant un implant cochléaire ont une meilleure perception, compréhension et production verbale. Ils progressent d’avantage au niveau expressif que les enfants qui ne le sont pas ou qui ont une prothèse. Les différents niveaux langagiers en bénéficient. Ils conservent cependant un retard par rapport aux enfants entendants malgré que leur vitesse de développement linguistique après implant est comparable à ceux-ci. Des variations parmi les enfants implantés sont observées. Les scientifiques considèrent que des facteurs démographiques (âge d’implantation, l’âge au moment du diagnostic,…) en sont responsables. Un bénéfice plus important est par exemple observé lorsque l’implant est précoce. D’autres scientifiques insistent sur l’importance des échanges sociaux. En effet, une étude a démontré que ces facteurs démographiques ne déterminent que partiellement le développement linguistique. Les caractéristiques du dialogue maternels auraient également un rôle à jouer, en particulier la longueur des énoncés maternels et la reformulation correcte des propos de l’enfant. D’autres facteurs inconnus pourraient également influencer le développement linguistique de l’enfant.

Le peu d’études ayant pour sujet les performances morphosyntaxiques des deux pathologies concernent principalement les enfants sourds légers et moyens. Trois conclusions en ressortent :

  • Les enfants sourds légers et moyens ont de meilleures performances aux tests langagiers que les enfants TSL. Plus spécifiquement cela s’observe au niveau du vocabulaire et en production induite de morphèmes. Ils se situent à un niveau plus faible cependant lors de la compréhension et de la production induite d’items spécifiques (clitiques, déterminants et temps verbaux). Une grande hétérogénéité reste présente. Certains enfants sourds légers et moyens se situent par exemple à des niveaux comparables aux TSL ce qui fait penser les scientifiques à une possible comorbidité des deux troubles.
  • Les enfants sourds légers et moyens, comme les enfants TSL ont des difficultés marquées au niveau de la conscience phonologique, de la répétition de non-mots et de la discrimination phonologique. Ces résultats vont à l’encontre de l’hypothèse que les troubles langagiers seraient dû à une faible capacité en mémoire verbale à court terme.
  • Les enfants légers et moyens, comme les enfants TSL ont des scores comparables à ceux des enfants typiques en compréhension morphosyntaxique de phrases. Ce résultat suggère que les difficultés linguistiques observées ne sont pas dû à un déficit purement linguistique mais plutôt à des facteurs de performance (ex. limitation au niveau des fonctions cognitives).

Encore moins d’études comparent les enfants sourds sévères et les enfants TSL mais ceux-ci auraient des niveaux morphosyntaxiques équivalents tant en compréhension, qu’en production. Le même ordre de difficulté serait par exemple relevé pour les morphèmes. Les déficits observés concernent les mêmes aspects de la morphosyntaxe. Des limites sont cependant observées à ces différentes études :

  • Elles ont été réalisées essentiellement auprès d’enfants sourds légers et moyens
  • Elles n’ont pas forcément traité les mêmes traitements morphosyntaxiques en compréhension et en production. Au niveau de la compréhension, elles ont observé les compétences des enfants en fonction de la complexité de la phrase tandis qu’au niveau production elles ont d’avantage observé leurs capacités en morphologie.

Cette étude aura pour but de comparer le développement morphosyntaxique des enfants sourds sévères et profonds et des enfants TSL aux mêmes niveaux de traitement.

Objectif 1 : Observer cela chez des enfants du même âge chronologique et du même niveau socio-économique dont une population avec un développement typique pour identifier des marqueurs linguistiques communs et spécifiques à chaque population. Cela pour observer si oui ou non les enfants sourds et les enfants TSL ont des scores comparables à différentes épreuves de compréhension de structures syntaxique.

Objectif 2 : Comparer les compétences en production et en compréhension des 3 groupes. Cela pour observer si malgré une faible utilisation des marques morphosyntaxiques, une compréhension de celles-ci est présente. La production permet également d’observer plus directement les compétences également sollicitées en compréhension. Les troubles morphosyntaxiques témoignent-ils d’une altération spécifique des mécanismes grammaticaux ou de difficultés de traitement cognitif? Sont-ils spécifiques à un domaine ou plus globaux et non spécifique au langage? Dans le premier cas, les difficultés devraient être observées tant en production qu’en compréhension. Dans le deuxième cas, elles seraient expliquées en termes de performance et pourraient ne toucher qu’un des deux versants.

Résultats obtenus et discussion :

  • Les enfants des trois groupes obtiennent des meilleurs scores en compréhension qu’en production même si la différence entre production et compréhension est plus grande chez les enfants sourds et TSL. Ces deux groupes n’utilisent que peu de structures syntaxiques en production alors qu’ils sont capables de les utiliser en compréhension. Cela laisse penser que les difficultés en production sont d’avantage liées à la performance qu’à la compétence. Les résultats semblent indiquer que les difficultés observées ne sont pas liées à un déficit spécifiquement grammatical. Elles pourraient donc être liées à une limitation du traitement cognitif de l’information verbale en référence aux théories sur la MCT, de la MT ou du traitement cognitif de l’information. Cette capacitée limitée de traitement de l’information aurait pour conséquence que les processus nécessitant d’importantes ressources (ex. traitements morphosyntaxiques qui impliquent un mouvement) seraient d’avantage impactés. Un bénéfice important des amorces serait alors de mise car celles-ci allègent le traitement cognitif à réaliser.
  • Le niveau de compréhension est élevé dans les 3 groupes même si les enfants TSL obtiennent des scores inférieurs aux enfants sourds et témoins. Les scores obtenus en compréhension morphosyntaxique par les enfants sourds sont équivalents aux enfants témoins de même âge chronologique.
  • Le niveau en production des enfants sourds et TSL est nettement inferieur à celui des enfants témoins. Les enfants sourds et TSL obtiennent des résultats équivalents sur ce versant et cela quelle que soit la structure évaluée. Cependant les enfants sourds implantés vont obtenir des résultats supérieurs aux enfants TSL et sourds non-implantés (faible effectif de l’échantillon et doit donc être validé par une autre étude). Les difficultés à produire des pronoms clitiques et des phrases impliquant un mouvement syntaxique dans les deux groupes sont également observées et peuvent donc être considérées comme des marqueurs d’un développement atypique du langage étant donné que cela est en accord avec d’autres données de la littérature.
  • Certains enfants sourds et TSL obtiennent des résultats comparables aux enfants témoins. Les erreurs de ceux-ci vont cependant porter sur l’ensemble des structures testées tandis que les erreurs des enfants témoins vont porter sur les 3 structures les plus complexes (réduction de relatives, relatives en « que » et phrases complexes)
  • En compréhension, les enfants TSL ont plus de difficultés au niveau des structures plus complexes (relatives en « qui », réduction de relatives, relatives en « que » et relatives complexes). Les enfants sourds auraient quant à eux plus de difficultés à comprendre les phrases passives.
  • En production, une différence est remarquée au niveau des phrases « mais….pas, ni…ni » qui sont plus difficiles pour les enfants TSL et les « relatives en que » pour les enfants sourds.
  • La nature des erreurs des enfants sourds et TSL est comparable et consiste souvent à produire des phrases plus simples (ex. pour les phrases négatives, passives et les relatives en « qui » et « que ») ou à omettre des pronoms ou autres (ex négation « ne », l’auxiliaire être) . Ils utilisent des syntagmes nominaux plutôt que des pronoms (quasi systématiques dans le cas des pronoms clitiques). Des ajouts de pronoms sont également relevés tout comme une utilisation de phrases comprenant un syntagme nominal suivi du pronom « il » ou « elle ».

Quelques limites :

  • Appariement sur l’âge chronologique et non prise en compte des capacités en perception de la parole, lecture labiale, lecture ou en mémoire de travail.
  • Taille de l’effectif est insuffisant pour généraliser le résultat ou évaluer l’impact par exemple de l’implant cochléaire ou le degré de déficience auditive.

En conclusion, des études complémentaires devraient être réalisées. Des hypothèses concernant le résultat de ces études sont mentionnées :

  • Les capacités en production devraient être corrélées avec la capacité en MT.
  • Les performance en production devraient être meilleures lorsque la charge de traitement cognitif est allégée.

Cette étude a quelques impacts au niveau clinique. Pour les logopèdes, il a été observé que l’EPIS permet de décrire plus précisément les structures syntaxiques que l’ECOSSE. Une utilisation des amorces pour aider l’enfant à acquérir certaines structures est également mise en évidence.

Commentaires personnels :

J’ai choisi cet article étant donné qu’il a été validé scientifiquement et qu’il reprend le thème des structures syntaxiques, une difficulté omniprésente au niveau des enfants dysphasiques. Il permet également d’avoir une vue plus globale du développement langagier atypique étant donné qu’il compare aux enfants sourds.

Différents points abordés ont permis d’apporter des informations concernant ma pratique future en tant qu’orthopédagogue. Cet article a souligné l’importance de l’utilisation des amorces ce que je compte mettre en pratique. Il a également développé spécifiquement les difficultés rencontrées par chaque pathologie au niveau morphosyntaxique ce qui pourra être utilisé lors de la réalisation des projets de prise en charge. Une meilleure compréhension du trouble, que ce soit au niveau étiologique ou symptomatologique, permettra une meilleure prise en charge.

Bibliographie :

  • Bourdin, B., Ibernon, L., Le Driant, B., Levrez, C. & Vandromme, L. (2016). Troubles morphosyntaxiques chez l’enfant sourd et chez l’enfant dysphasique : similarités et spécificités. Revue de neuropsychologie, volume 8(3), 161-172. https://doi-org.ezproxy.vinci.be/10.3917/rne.083.0161
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